Certaines des réactions à la vidéo de présentation de BEES coop peuvent sembler caricaturales ; pourtant, toutes ont bel et bien été exprimées.
Quand on communique, il est indispensable de réfléchir aux personnes visées, à leur bagage culturel et à leurs difficultés potentielles, notamment par rapport à la langue. Les outils de communication et l’accueil au magasin marquent le premier contact avec le projet. Ils invitent à la découverte mais, mal adaptés, ils peuvent aussi constituer les premiers freins à l’adhésion. Avec une communauté de coopérateur·trice·s diversifiée, la communication interne doit également être soignée afin de renforcer le sentiment d’appartenance, faciliter la vie ceux·celles qui seraient moins à l’aise avec le français ou l’écriture et ne pas générer de malentendus.
BEES coop a mis en place un comité de coopérateur·trice·s en charge de la communication mais celle-ci dépasse de facto les responsabilités de ce groupe ; de l’accueil au règlement intérieur, elle concerne de nombreux aspects du projet. Avec 2000 coopérateur·trice·s, le bouche à oreille constitue un outil convivial et puissant.
Les 2000 coopérateur·trice·s communiquent tou·te·s à leur façon. Chacun·e présente le modèle, le magasin et l’obligation de travail selon son niveau de compréhension, ses intérêts et ses valeurs. Cette diversité de présentations de BEES coop offre une multitude de manières d’aborder le projet et de convaincre selon les personnes à qui on s’adresse. Mais la médaille a son revers : le risque de mauvaises informations, de maladresses et de décalages entre les discours est également très grand…
BEES coop est un projet innovant et complexe ; il n’est pas si simple de le présenter clairement. Nous avons souvent l’impression que nos explications tombent sous le sens, que nous utilisons des mots « communs », que nos formules et expressions sont « normales ». Mais en réalité, pour nombre de personnes, certains concepts sont inconnus, certains mots s’avèrent effrayants, certaines formules paraissent complexes.
BEES coop a mis en place un comité de coopérateurs qui s’occupe de la communication mais la communication au sens large dépasse les responsabilités de ce groupe. De l’accueil au règlement intérieur, la communication concerne de très nombreux aspects et les 2000 coopérateurs communiquent tous sur le projet à leur façon. Chacun.e présente le modèle, le magasin et l’obligation de travail selon son niveau de compréhension, ses intérêts et ses valeurs.
L’accessibilité d’un projet commence par sa communication. Des freins à la compréhension et à l’adhésion peuvent naître dès sa présentation. Comment une personne baignée dans une autre réalité socio-culturelle recevra-t-elle et interprétera-t-elle ce mot, ce concept, ce dessin, etc. : l’attention à la communication s’avère d’autant plus importante que les personnes dissimulent souvent leurs difficultés.
Communiquer de façon inclusive nécessite de poser des choix et de trouver un équilibre entre identité forte et ouverture au plus grand nombre. BEES coop veut communiquer mais « sans faire de pub » et favorise le bouche à oreille stimulé par des outils peu coûteux et en phase avec ses valeurs. Les campagnes de financement participatif ont ainsi beaucoup contribué à faire parler du projet, la vidéo BEES coop a été largement relayée sur internet. Mais la visibilité du magasin dans le quartier reste limitée et hors de portée des réseaux sociaux et du bouche-à-oreille généré par les coopérateur·trice·s.
L’accessibilité et l’ancrage dans le quartier constituant des valeurs fortes de BEES coop, les coopérateur·trice·s souhaitent améliorer la visibilité de proximité et plusieurs pistes d’actions ont été testées ou imaginées en ce sens:
- une enseigne extérieure avec les heures d’ouverture et un message de bienvenue en différentes langues ;
- l’organisation de journées portes ouvertes, avec une communication via la presse locale et les acteurs·trices du quartier ;
- un accueil plus personnalisé à l’entrée du magasin et une meilleure organisation des informations disponibles (un mur « comm’ externe », un mur « comm’ interne », un mur petites annonces, etc) ;
- un numéro de téléphone fixe afin de pouvoir fournir des renseignements aux plus timides qui n’osent pas franchir les portes du magasin ou aux curieux·ses peu à l’aise avec l’écrit ou internet ;
- un flyer d’accroche multilingue ;
- un dépliant poster exposant le projet de BEES coop dans toutes ses dimensions ;
- des séances d’information régulières ;
- une vidéo d’explication traduite et sous-titrée en plusieurs langues ;
- des partenariats avec des acteurs associatifs et communautaires du quartier jouant le rôle de relais ;
- l’encouragement du bouche-à-oreille et de l’informel mais aussi, peut-être, la participation obligatoire à une mini-formation pour assurer une certaine rigueur et homogénéité dans les informations diffusées.
Au cours du projet de recherche action participative Falcoop, des bénévoles du comité mixité sociale de BEES coop et les chercheur·euse·s ont eu l’opportunité de tester différents supports de communication auprès des groupes d’habitant·e·s rencontrés. Ces échanges ont permis d’identifier quelques idées clés pour les outils destinés au plus grand nombre et visant une compréhension rapide.
Quelques principes de base pour les textes ont été formulés :
- choisir une mise en page et des textes structurés et formulés simplement (par ordre d’importance, dans le sens de la lecture, etc.) ;
- privilégier des polices et tailles de caractères bien lisibles (sans fioritures, sans italique, etc.) ;
- éviter les phrases longues ou enchâssées, les redondances, etc. ;
- renoncer aux expressions idiomatiques et jeux de langage nécessitant une maîtrise élevée de la langue.
Il est également important d’être attentif·ive au choix des mots car ceux-ci résonnent différemment en chacun de nous. Ainsi les termes « travail bénévole » ou « propriétaire » n’ont pas le même sens pour tous et ont souvent été sujets à discussion au cours des rencontres. Entre l’envie de « donner de son temps », « de partager le travail », « de réenchanter le travail » et les difficultés liées au travail ou l’espoir vital qu’il peut représenter pour certains, il y a un décalage qui peut raviver un sentiment d’inégalité ou des peurs.
Des astuces pour contourner ces obstacles et aborder ces notions différemment ont été avancées : on devient « membre » plutôt que « propriétaire » du magasin ; on vient « aider », « participer » plutôt que « travailler » ; on peut « donner son avis » au lieu de « décider »…
Certains mots ou tournures peuvent également sembler normatives et susciter un rejet. On n’a pas forcément envie d’entendre « il faut », « changer son comportement alimentaire », « mieux manger », « améliorer », « on devrait », etc. lorsqu’on est confronté à un quotidien précaire…
Dans le même ordre d’idées, certains mots recouvrent des réalités complexes qu’il faut pouvoir expliciter, nuancer et débattre. Qu’entend-on par « durable », « juste », « écologique », « accessible », « transparent », « participatif », « solidaire », « local », etc. ? Ces mots, galvaudés et utilisés à toutes les sauces, sont souvent utilisés pour témoigner des valeurs et du bien-fondé du projet car ils semblent connus et compris de tous. Or, ce n’est pas le cas: pour de nombreuses personnes, le mot « durable » signifie quelque chose qui « peut être (ré)-utilisé longtemps », « écologique » est lié à un parti politique, « accessible » correspond aux « prix du hard discount », etc. Il importe dès lors de faire l’effort de décortiquer ce que chacun entend par ces mots et d’exposer explicitement les réalités plutôt que d’utiliser des concepts. Par exemple: « Nous diminuons autant que possible les emballages, nous favorisons des produits cultivés sans pesticides, nous visons des prix plus bas que dans les commerces équivalents en ne faisant pas de bénéfices, etc. » Cet exercice permet aussi d’amener une réflexion de fond sur les gestes réellement posés et de se prémunir de tout greenwashing involontaire.
A côté des textes, les supports imagés facilitent grandement la compréhension et l’impact. Ils sont à favoriser autant que possible mais en gardant à l’esprit que le rapport à l’image est lui aussi marqué socio-culturellement et que certaines illustrations peuvent manquer leur but auprès d’une partie des publics. Par exemple, dans la vidéo de présentation de BEES coop, le recours à des dessins d’animaux – choisi pour contourner les normes de genre – perturbe et brouille les pistes lorsqu’ils sont pris au premier degré : « Est-ce un magasin pour animaux ? » ; « Nous considèrent-ils comme des enfants ? » ; etc.
Un outil de communication ne peut sans doute pas plaire à tout le monde mais il est possible d’améliorer son accessibilité en se posant quelques questions ou en le testant afin de déterminer comment différentes personnes perçoivent et comprennent le support, la structure, le contenu en textes et images, les mots choisis etc.
La communication externe constitue le premier levier potentiel d’ouverture sur d’autres publics. La communication interne joue quant à elle un rôle important dans le maintien de l’implication. Mais elle n’est pas la seule à influer sur l’engagement et le maintien de la motivation ; l’offre du magasin et le fonctionnement du modèle sont aussi très importants, comme nous allons le voir dans les chapitres suivants.
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